Physicien formé à L’ENS de la rue d’Ulm, docteur en thermodynamique, accessoirement lauréat de concours d’éloquence, spécialiste du monde marin, auteur à succès de « l’éloquence de la sardine », François Bill joue de toutes ses facettes pour nous faire partager sa compréhension scientifique de la vie marine par une narration tout à la fois exigeante, accessible mais drôle. Le livre est par ailleurs généreusement illustré par Valentine Plessy dont les tableaux restituent avec une grande délicatesse l’extraordinaire beauté de la vie marine. Exit le Monde du Silence et de l’obscurité pour laisser place à une extraordinaire variété de couleurs, de formes, de bruits, de performances, de chef d’œuvre d’ingénierie et de tant d’autres prodiges de la vie marine.

Au fil des pages le lecteur est littéralement aspiré par la découverte de phénomènes insoupçonnés, parfois relevant de la science -fiction. Cette plongée commence par les mille formes de nage, les talents de prestidigitation des bancs de poissons invisibles pour leurs prédateurs, l’adaptation du cachalot aux différences de pression , le rôle de pompe à carbone du krill , la métamorphose radicale du saumon pour gérer la concentration des sels dans son corps lors de sa migration en eau douce ou, au contraire, l’équilibre osmotique du requin, l’art de marcher sur l’eau ou la tête à l’envers en suspension au plafond des mers, la parfaite maitrise du rase-mottes de l’exocet,  celle du l’albatros, as du vol à voile et du stockage de ses réserves de nourriture après leur transformation en un carburant liquide aussi énergétique que le gasoil.

L’auteur enchaine avec les problèmes de géométrie et de thermodynamique que rencontre la baleine, la découverte récente d’une forme de vie sans aucune intervention directe ou indirecte de l’énergie solaire, les prouesses sidérantes de la crevette-mante, les duperies d’un animal bioluminescent à l’autre, la palette de peintre du poulpe qui change de couleur au fil de ses rêves.

Le lecteur est conduit sur le terrain informatique pour tenter de comprendre comment les dessins des robes bariolées des poissons honorent Alan Turing et ses modélisations développant l’interaction entre aspect temporel de la prédation et diffusion spatiale. Même génie informatique chez la palourde et les cônes dont les motifs de robe varient à l’infini selon la règle de jeu choisie bien avant que John Conway invente un jeu qui prenne vie tout seul . 

Rétines et pupilles du monde marin sont scrutées. Trous, miroir ou lentilles, les formes de vision sont multiples : troisième œil, glandes pinéales ou encore vision par la peau des pulpes et calamars. La vue est pourtant loin d’être le sens principal de la vie aquatique. Place aux sons, car la mer est un vrai caisson de résonnance pour les équivalents de tous nos instruments, jusqu’au violon crincrin joué par la langouste !  Plus fort encore, le requin dévoile son monde multisensoriel avec ses 6èmè, septième et même un huitième sens, récemment découvert. Une abondance de signaux sensoriels qui peut lui jouer des tours en l’amenant à un état de transe dont l’orque sait profiter. Les pages suivantes mettent en scène architectes et matériaux futuristes tels ces éponges qui mènent une vie de plus de dix mille ans dans des buildings de 20 m de haut. A propos de vie à toutes épreuves, de nombreux animaux marins réussissent à la prolonger et atteindre un grand âge. Les baleines franches contemporaines ont peut-être connu Moby Dick alors que le requin du Groenland côtoyait déjà les Vikings. Autres records plus étonnants encore :  l’éternelle jeunesse du homard qui périra non pas dans notre assiette mais étouffé par sa carapaces de plus en plus épaisse au fur et à masure de ses mues. Ou l’immortalité biologique de certaines méduses capables de se rajeunir quand les cellules de leur corps deviennent des cellules souches capables de donner naissance à n’importe quel organe.

En forme de conclusion François Bill est catégorique : un foisonnement d’animaux inconnus surgira du secret des abysses de la mer et les prouesses des nouveaux venus éclipseront celles décrites dans ce livre. Voilà un avertissement de bon augure . 

CF(H) Philippe PIZEINE
09/02/2024

LES GENIES DES MERS
Bill François
Flammarion