Journal de la construction d’un phare

Une version plus complète de cette recension a initialement été publiée dans le Marine ACORAM n°280 de juillet 2023.

J’ai été attiré par ce livre, et son titre, pour deux raisons :
D’abord parce que j’avais déjà entendu parler du rôle moteur de la famille Stevenson dans la construction des phares, principalement en Ecosse et en Grande-Bretagne. C’était à … Tahiti, bien loin de l’Ecosse ! Thomas Stevenson (mais parfois David, son frère), le père de l’auteur de l’Île au Trésor, est en effet parfois cité comme étant celui du concepteur du phare de la pointe Vénus, à Tahiti ! Il n’en est rien en réalité, il faut voir là le résultat de la longue lutte d’influence entre la France et le Royaume Uni, par églises interposées, en Polynésie.[1] Mais l’erreur persiste.

Ensuite, parce que le phare dont il est question dans ce récit est implanté en mer du Nord, au large de Dundee, sur un plateau rocheux ne découvrant qu’à marée basse. Bell Rock est le plus vieux phare du monde, après celui de Cordouan. Et sa construction au tout début du XIXème siècle n’est pas sans rappeler celle du phare d’Ar Men, au large de l’île de Sein, … soixante ans plus tard (voir MARINE ACORAM N° 266 de janvier-février-mars 2020).

C’est un livre étrange et prenant, à plusieurs égards. Pour Robert Louis Stevenson (RLS comme il se plaira parfois à se présenter) c’est, d’une certaine façon, un retour sur ses racines et un hommage à son grand-père et à une dynastie de bâtisseurs. D’où le titre anglais : Records of a Family of Engineers. Ecrit probablement à la fin du XIXème siècle (première édition en 1912, près de 20 ans après la mort de RLS), il a le style de l’époque, ce qui peut surprendre lorsqu’on est habitué aux récits et romans d’aujourd’hui. Mais surtout, alors que Stevenson nous est plus connu pour ses récits de voyage et ses romans d’aventures, voire fantastiques, on a cette fois un récit documentaire, en trois parties (plus une introduction sur le patronyme Stevenson) :
– la première retrace l’histoire de la famille Stevenson, une famille d’ingénieurs bâtisseurs de phares en Ecosse. C’est une page d’histoire de la société écossaise de la fin du XVIIIème siècle, pas toujours facile à suivre, tant les noms et les prénoms sont repris de génération en génération. Robert Louis Stevenson appartient à une famille profondément écossaise, « conservatrice et patriote », où l’on croise des pasteurs, des marins, des commerçants et, assez vite, des ingénieurs, beaucoup d’ingénieurs.
– la deuxième partie traite du Bureau des Phares du Nord, vu par Robert Stevenson, le grand-père de Robert Louis. Son rôle fut de concevoir, construire et maintenir en état, un grand nombre de phares, principalement autour de l’Ecosse jusqu’à l’île de Man, et dans les archipels des Hébrides, des Orcades et des Shetlands, afin de rendre la navigation plus sûre dans une zone « mal pavée » et où les conditions météo sont la cause de nombreux naufrages. La carte des réalisations de Robert Stevenson est la seule illustration du livre. Ce Bureau des Phares du Nord, basé à Edimbourg, est un service très structuré, à l’organisation presque militaire, où se mêlent rigueur et paternalisme, la marque de l’époque au Royaume-Uni. Au hasard des pages, on y trouve quelques allusions aux conflits en cours avec la France de Napoléon et à ses conséquences, par exemple sur la « presse » qu’exerce la Royal Navy pour armer ses bâtiments.
– la troisième partie est une sélection faite par RLS dans le journal tenu par son grand-père. Elle retrace fidèlement la construction du phare de Bell Rock en Mer du Nord, sur un plateau rocheux visible seulement à marée basse, à une dizaine de milles de la côte écossaise. L’idée d’y construire un phare naît en 1794 dans la tête de Robert Stevenson, elle prend corps après une grande tempête en décembre 1799 qui voit la perte d’un vaisseau, le HMS York. Le projet est une première fois repoussé en 1803, puis finalement adopté en 1806 par le Parlement à Londres. Aussitôt une organisation se met en place, définissant, outre l’architecture et les principes de réalisation du phare lui-même, toute la logistique nécessaire pour amener et maintenir sur place le plus longtemps possible, hommes, outils et matériaux. Plusieurs bateaux sont achetés pour l’opération et le premier voyage a lieu en juillet 1807. L’auteur reprend, à partir de cet instant, en une centaine de pages, le récit même que fait son grand-père de « l’histoire d’un tel exploit » : un in-quarto de cinq cent trente-trois pages ! Le récit devient technique, précis, détaillé. La conduite de l’opération elle-même, par Robert Stevenson (rebaptisé « l’auteur »), qui demeure sur place la plupart du temps, nous mène depuis les premiers ancrages – quelques heures dans l’eau de la Mer du Nord ! – jusqu’à la pose de la dernière pierre et des derniers châssis de fenêtres, trente mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est une mer froide, dure, où le vent et la mauvaise mer perturbent le chantier. Cette opération va durer quatre ans, avec les inévitables pauses hivernales, la reprise du chantier au printemps, et le constat de ce qui a tenu et de ce qui est à reprendre. Elle va mobiliser des dizaines d’hommes, volontaires et maintenus à bord des navires ancrés à proximité puis sur le rocher dès que ce sera possible : des marins donc, mais aussi des maçons, des ouvriers, des mécaniciens (dès qu’il y aura des rails), des forgerons (avec des forges à rallumer lorsqu’un paquet de mer éteint le charbon !), et le tout à la force des bras : la machine à vapeur n’a pas encore sa place sur ce type de chantier.

Récit technique où transparaît bien sûr le sens de l’organisation et des responsabilités, mais également récit humain, avec une grande attention portée à tout le personnel et à leur famille.  

C’est un bon livre, bien de son époque, c’est une belle et grande aventure. La traduction est très bonne, y compris sur le plan de la technique, à quelques détails près (le « bateau-phare » ?). Un manque : l’illustration, qui permettrait de mieux suivre l’avancement des travaux. Ces images existent, d’époque. Heureusement, il y a Wikipedia ! Est-ce un grand livre ? Non, pas vraiment, mais l’évocation, au jour le jour, d’un événement hors norme.  

CV(H) Jean FOSSATI
05/09/2023

Journal de la construction d’un phare
Robert Louis Stevenson
Editions Paulsen


[1] Le phare de la pointe Vénus entre dans la politique que mène la France depuis 1825 pour l’éclairage de ses côtes et celles de ses possessions d’Outre-mer. Le phare de 1867, est construit sur les recommandations de Léonce Reynaud, ingénieur des Ponts et Chaussées, secrétaire de la commission des phares à Paris. Ce sont les plans de deux phares français celui de la pointe de la Grave (Le Verdon-sur-Mer) et celui des Triagoz (Côtes-d’Armor) qui servent de modèle. Et c’est le Génie militaire qui dirige la construction. Le phare est mis en service en 1868.

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