L’aventurière de l’Etoile

Voici deux ans, la question s’était posée au sujet du remarquable ouvrage consacré à Michel Pacha par le professeur Yves Stalloni, lequel, à défaut d’archives (disparues en quasi-totalité), avait dû reconstituer la vie de son héros à l’instar de Cuvier rebâtissant le squelette d’un dinosaure à partir d’une phalangette (il faut d’ailleurs reconnaître l’honnêteté scrupuleuse de l’auteur qui qualifiait son livre de « roman biographique » et non de « biographie ») : comment émettre un jugement impartial et rationnel sur une œuvre hybride de ce genre ?

Christel Mouchard, elle, a eu la chance de bénéficier d’archives, bien lacunaires il est vrai, et d’études antérieures pour retracer la carrière de son héroïne. Et si l’on prend la peine de récapituler ses sources en fin de volume, on ne peut qu’admirer sa persévérance, même s’il est permis de s’étonner qu’elle n’ait pas eu recours, en ce qui concerne Bougainville, à la biographie publiée en 2011 par Étienne Taillemite et qui fait autorité sur la question. Si l’on voulait se montrer pointilleux, on pourrait aussi lui reprocher d’avoir nommé ministre (à deux reprises au fil de son texte) Pierre-Isaac Poissonnier qui n’était qu’inspecteur général de la médecine, chirurgie et pharmacie de la Marine et des Colonies, mais, après tout, l’erreur est humaine…

En revanche, il est plus discutable, lorsque l’on prétend rédiger une biographie ayant valeur historique, d’exprimer de manière excessive ses sentiments personnels. Que la rédactrice n’aime pas Philibert Commerson, difficile de l’en blâmer, car le personnage était manifestement fort déplaisant : snob, tyrannique, arrogant, atrabilaire, méprisant à l’égard des marins (des « gens qui ne sont rien » dirait-on aujourd’hui), et, de surcroît, brouillon et désordonné dans son travail de botaniste, bien qu’il ait attaché son nom à deux très jolies fleurs, la bougainvillée et l’hortensia (sans compter le pétunia, qu’il découvrit mais qui fut ultérieurement nommé par Jussieu). Que, par ailleurs, elle déborde de sympathie pour son héroïne (laquelle était, sans l’ombre d’un doute, une jeune femme hors du commun par son courage et son intelligence), rien de plus normal. Mais elle en vient à donner l’impression de l’avoir accompagnée à chacune des étapes de son existence, d’avoir observé le moindre de ses gestes, d’avoir sondé la moindre de ses pensées. Et cela, en fin de compte, devient gênant parce que trop artificiel. Comme disait Talleyrand, « tout ce qui est excessif est insignifiant » et, pour avoir voulu trop bien faire, Christel Mouchard manque en partie son objectif ; en exagérant à peine, on pourrait s’attendre à la voir sous-titrer son livre « Lorsque j’étais Jeanne Barret ». C’est dommage, car, encore une fois, la compagne de Commerson était, à coup sûr, une personnalité profondément attachante, dont la vie passionnante mérite d’être connue de la postérité. Mais, oserons-nous dire, sa biographie scientifique et raisonnée reste encore à écrire.

CV(H) Philippe HENRAT
05/12/2020

L’aventurière de l’Etoile
Jeanne Barret passagère clandestine de l’expédition Bougainville.
Christel Mouchard
Tallandier

Voir également la recension du CV(H) Hubert MICHEA et la recension du CF(H) Philippe BEAUCHESNE

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