Fortunes de mer, sirènes coloniales

Malgré un titre à consonance romanesque et exotique, l’ouvrage d’Olivier Grenouilleau, spécialiste de l’histoire du capitalisme maritime et de la traite négrière, est une étude du commerce, principalement atlantique, de la France, depuis le milieu du XVIIe siècle, période du développement du colbertisme, aux années 1960 de la décolonisation. Cet universitaire se base sur les statistiques existantes, même si disparates selon les périodes, pour tenter de vérifier ou d’infirmer les visions généralement acceptées de notre commerce maritime et de ses structures au cours de ces siècles ainsi que l’importance et l’influence de notre progressif empire colonial eût sur celui-ci.

 Jusqu’à la conquête de l’Algérie, la France, au contraire des puissances ibériques et britanniques ne développa guère de colonies de peuplement (la principale raison de la perte de la Nouvelle France canadienne) et les échanges se concentrèrent sur les produits exotiques de nos colonies insulaires des Caraïbes et de l’Océan indien : le sucre, le café et l’indigo. L’Afrique, comme pour les autres puissances coloniales, n’entrant en jeu que par le biais du commerce triangulaire qui faisait l’acquisition d’esclaves sur ses côtes ouest pour les exporter vers les plantations nécessitant une main d’œuvre nombreuse.

 Les ports qui profitèrent économiquement de ces échanges étaient relativement peu nombreux comme le nombre d’armateurs et d’entrepreneurs impliqués, dont une partie d’aristocrates, notamment bretons, pour qui la pratique de ce négoce ne constituait guère une déchéance mais que beaucoup abandonnaient une fois les gains engrangés réinvestis dans la terre, richesse traditionnelle de la classe noble.

 Les périodes révolutionnaire et impériale apportèrent leur lot de perturbations sociales, politiques et économiques et, au retour de la monarchie, les flottes marchandes durent se reconstituer et, l’esclavagisme n’étant plus dans les idées du temps, l’État se pencha sur les autres échanges possibles avec les pays africains autrefois pourvoyeurs, déclenchant une conquête coloniale en concurrence avec celle de l’Empire britannique.

Nos armateurs, négociants et plusieurs ports, atlantiques : Nantes, Le Havre, Rouen, Bordeaux et méditerranéen : Marseille, en bénéficièrent du fait du commerce protégé ou réservé avec ces colonies mais, globalement, il ne représenta qu’une faible proportion de nos échanges internationaux. Olivier Grenouilleau lui attribue même une part de responsabilité dans la sclérose du négoce et de l’armement français par rapport aux flottes modernes et compétitives développées par l’Angleterre, les Pays-Bas et la nouvelle puissance américaine imprégnée de la fibre industrieuse et commerciale de leur ancienne mère patrie.

 Le défaut français, peut-être même antérieur à la période colbertiste, étant de tout attendre d’un État, à la fois providence et chargé de tous les maux par les différentes catégories d’entrepreneurs s’est marqué au XXe siècle, où le régime républicain parlementaire voyait nos députés légiférer en fonction de lobbies très actifs, parfois successivement dans des directions contradictoires.  

Pour l’auteur, cela, combiné à la courte vue de certains commanditaires, chambres de commerce, armateurs, syndicats…a retardé la modernisation de nos structures portuaires, de transformation et de transport comme de notre flotte de commerce, qui a laissé le grand cabotage et la plus grande partie des échanges maritimes internationaux aux mains de la concurrence. Quant à notre empire colonial, sa justification économique n’étant plus évidente s’ajouta aux circonstances politiques mondiales qui le virent disparaître peu après la moitié du XXe siècle.

 A chaque chapitre, l’auteur ouvre de nombreuses portes qui déboucheront peut-être sur des études et/ou ouvrages complémentaires

CF(H) JM CHOFFEL
29/02/2020

Fortunes de mer, sirènes coloniales
Olivier Grenouilleau
CNRS Editions

Voir également la recension du CV(H) Gérald BONNIER

Bonus : Podcast de l’interview d’Olivier Grenouilleau par Jose Manuel Lamarque pour Chronique Littorale sur France Inter

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