La Royal Navy et ses hommes

À l’instar de la langue d’Ésope, le roman maritime peut apporter le meilleur et le pire. Le meilleur, c’est cet appel du grand large, ce goût de l’aventure sur les océans, ce rappel des gloires passées, qu’il s’agisse d’expéditions hasardeuses ou de combats héroïques. Le pire, c’est ce fatras de clichés qui accompagne trop souvent les œuvres de fiction (un exemple parmi d’autres : les galères de France, trop souvent représentées comme des camps de concentration flottants où d’infortunés forçats trimaient sans répit à longueur d’année sous le fouet cruel de brutes féroces, alors qu’en réalité, les galères ne naviguaient que six semaines par an, toujours à la belle saison et à la voile la plupart du temps).

La Royal Navy n’a pas été épargnée par cette tendance misérabiliste et trop de romans ou de films nous ont dépeint ses vaisseaux comme des bagnes flottants où des malheureux, arbitrairement arrachés à leurs foyers, étaient le jouet d’officiers sadiques, dirigés de très haut par un aréopage d’aristocrates séniles et incompétents. Certes, il y eut des Bligh et des Piggott, mais ils furent des exceptions. On ne peut donc que se réjouir de la publication en français du magistral ouvrage du professeur Nicholas Rodger, spécialiste universellement reconnu de l’histoire navale britannique et membre à titre étranger de l’Académie de Marine française, La Royal Navy et ses hommes, traduit avec une exactitude exemplaire par les professeurs Daniel Verheyde et Christian Pfister-Langanay.

Exempt de chauvinisme tout autant que de sensationnalisme, ce livre trace un panorama exhaustif et clair de la Marine du roi George III d’Angleterre qui affronta la nôtre au cours de trois guerres (et même de quatre, puisque le long affrontement des années 1793-1815 n’en fut que le prolongement). Toutefois, on y chercherait en vain une histoire de plus des opérations navales durant le XVIIIème siècle, car tout autre est le but de l’auteur. Son objectif est de décrire de manière clinique et dans ses moindres détails le cadre, tant administratif qu’humain, dans lequel la Royal Navy a évolué au cours de ces années cruciales pour devenir la plus puissante marine du monde. L’approche pragmatique de ce milieu fermé et hyperspécialisé sur le plan professionnel permet de reconsidérer quelques concepts solidement établis, mais dont l’ancienneté n’est pas obligatoirement synonyme de vérité. Celui de la discipline à bord, systématiquement présentée comme inhumaine, est repris dans un cadre plus large qui ne nie pas sa rudesse mais la rapproche des conditions d’existence, non moins sévères, d’autres catégories sociales, non maritimes, de l’époque. Autre concept évoqué avec perspicacité, celui du consensus qui permet de mieux comprendre l’acceptation des contraintes au sein de microsociétés (les équipages) condamnées à vivre dans un espace resserré et un environnement hostile. Il en va de même du « patronage », tant décrié par les historiens de l’époque victorienne, qui constitua en réalité un puissant ascenseur social doublé d’un remarquable moyen de recrutement et de formation des officiers supérieurs, propre à instaurer entre eux une solidarité qui fit parfois tristement défaut à leurs homologues de la Marine royale française.

En définitive, cet ouvrage clair, exhaustif, agréablement rédigé et exempt de jargon technico-anthropologique, intéressera tous les amateurs d’histoire maritime … du moins ceux qui sont enclins à remettre en cause les idées reçues.

 

CV(H) Philippe HENRAT
14/09/2018

 

La Royal Navy et ses hommes.
Naissance d’un modèle 1750-1780,
RODGER (N.A.M.),
Presses Universitaires du Septentrion.

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