Que seule demeure la poésie du Ienisseï

Couverture_FinazIl faut parcourir tout un livre pour en saisir la teneur exacte, sans cela l’impression première est illusion. Et le livre est alors à l’image de son thème : il faut suivre l’Ienisseï jusqu’au bout, parcourir ses cinq mille kilomètres légendaires pour se reposer au bout, et avoir bien compris le sens que lui donne l’auteur, qui sème ses thèmes au fur et à mesure des étapes de son itinéraire.

De la géopolitique à la géo poétique… C’est à un tel voyage que nous invite Loïc Finaz dans son ouvrage Que demeure la poésie du Ienisseï – expression qui constitue en même temps la formule finale – constitué de dix-huit courts chapitres qui, en réminiscence d’un thème vernien1, évoquent chacun la poétique d’un lieu, le tout dessinant l’itinéraire d’un voyage de Paris à Moscou par l’Ienisseï à bord du Matrosov, et s’achevant sur un panégyrique des fleuves. Le nom du fleuve s’annonce comme leitmotiv, et la clausule « sur le Ienisseï » vient ponctuer les scènes évoquées : baptême orthodoxe, filles des rues, ivresses des cabarets et boîtes de nuit, évocation de figures de femmes,…

L’ouvrage se veut de facture poétique, et de fait, les procédés traditionnels du verbe lyrique y sont employés, jusqu’à la reprise en épigraphe de la célèbre ouverture de la Divine comédie de Dante. La « prose poétique » dans laquelle l’auteur s’exprime met à jour des accents tour à tour baudelairiens, apollinairiens ou de certains contemporains. Lamartine s’y fait entendre, moins par le thème liant l’eau au temps humain que par la teneur méditative des textes.

Le livre est touchant à plus d’un titre… Le style, fait d’évocations de tableaux par concaténation de phrases sans verbe recréant l’illusion de l’instantané au coeur de la parole se déployant dans le temps, d’alternance entre prose stricte, prose poétique et poésie pure, de méditations ouvertes sur le « vent semeur d’illusion » ou autres, parvient à maintenir tout au long un ensemble mélancolique et rythmé, et à faire vibrer une voix typiquement russe.

Les doubles amoureux de la mer et de la Russie s’y sentiront chez eux. Côté mer : les lieux chers au coeur des marins se répondent en écho : l’auteur peut à l’occasion se risquer à une comparaison entre Doudinka et Brest. Côté Russie : l’ouvrage possède aussi des accents russes très touchants, dans lesquels on peut retrouver les voix perdues d’Andreï Makine, ou de l’ « Asie fantôme2 » du polonais Ossendovsky. Sans doute la force du livre repose-t-elle dans sa très grande sincérité dans cette capacité à s’être mis à l’unisson avec l’âme du continent, d’avoir pu parler cette voix de l’orient, déjà captée par un Christian Garcin dans un ouvrage homonyme et synchronique3. Si l’auteur évoque Tchaïkovski, on recommande d’accompagner sa lecture du deuxième concerto de
Rachmaninov… On ne résiste pas au plaisir de citer la formule finale :

Le Ienisseï en nous guidant aux rives de sa poésie jusqu’aux chemins de Norilsk nous a marqués de sa sagesse… (p. 65)

LV (R) Antoine PAYEN de LA GARANDERIE
03/05/2016

Loïc FINAZ
Que seule demeure la poésie du Ienisseï,
Éditions des Équateurs « Littérature », Paris, 2014

1 Jules VERNE, Michel Strogoff.
2 Ferdynand OSSENDOWSKY, Asie fantôme (1898-1905).
3 Christian GARCIN, Ienisseï, Paris, Verdier, 2014.

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