Les esclaves oubliés de Tromelin

Le Prix Marine & Océans 2015 catégorie « Bandes-dessinées » a été décerné à Sylvain Savoia pour Les esclaves oubliés de Tromelin.

Le 31 juillet 1761, l’Utile, un bâtiment de la Compagnie française des Indes orientales transportant une cargaison d’esclaves malgaches s’échoue sur l’île de Sable, en plein Océan Indien. L’équipage reprend la mer sur une embarcation de fortune, abandonnant quatre-vingt noirs sur cet îlot d’un km², leur laissant trois mois de vivres et la promesse de revenir les chercher. Elle ne sera pas tenue. Ce n’est que quinze ans plus tard, en novembre 1776, que l’enseigne de vaisseau de Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, sauvera les huit survivants, sept femmes et un bébé de huit mois. Tromelin lèguera son nom à cette langue de sable et ce fait divers alimentera en France la cause abolitionniste menée par Condorcet.

Quatre missions scientifiques ont été menées à partir de 2006 par Max Guérout, ancien officier de Marine et créateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), pour retrouver les traces du séjour des naufragés. L’auteur, Sylvain Savoia, a participé à la campagne de 2008, et réalisé un voyage à Madagascar en 2010.

Il en a tiré cette œuvre hybride, à la fois bande dessinée et journal de bord. Deux univers se côtoient en effet de manière alternée, dont les styles graphiques s’avèrent très différents.

La bande dessinée, très soignée, raconte les quinze années d’exil forcé passées sur cet atoll des Iles Eparses. Elle le fait avec le parti pris d’être à hauteur de ces hommes et de ces femmes abandonnés à leur sort, confrontés aux nécessités de la survie élémentaire, au manque d’eau douce et aux tempêtes tropicales, oscillant entre espérance, folie et angoisse. C’est l’événement dans sa durée et le groupe dans son ensemble qui sont montrés, au travers du regard de Tsimiavo, jeune esclave qui sera l’une des survivantes de cette tragédie.

Le carnet de voyage, plus libre, n’est pas sans rappeler les derniers ouvrages d’Emmanuel Lepage. Il retrace, à la manière d’un reportage, la participation de l’auteur à l’expédition scientifique. S’il donne à voir les travaux de recherche des archéologues, il montre aussi en contrepoint les traces qui marquent l’île aujourd’hui. Et au fil des pages, il donne corps au sentiment d’isolement total et au spleen né de l’enfermement dans un espace ouvert à perte de vue dont on fait pourtant le tour d’un unique coup d’œil.

La force de l’ouvrage réside dans un dessin qui séduit par sa finesse d’exécution et le soin apporté aux détails, mais également dans sa sensibilité et dans la capacité à relater avec sobriété la vie parallèle de naufragés, volontaires ou non, à 250 ans de distance. Il est complété d’un intéressant dossier de la main du chef d’expédition.

Entre reconstitution et documentaire, Sylvain Savoia livre un témoignage captivant de deux aventures humaines hors-norme. Une réussite à lire sans tarder.

C.C. (R) Jean-Pascal DANNAUD
09/07/2015

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