Aristote Onassis Ou l’Olympe Foudroyée

PMO_AristoteOnassisComment ce fils de marchand de tabac grec, né en Turquie au début du siècle dernier, Argentin d’adoption à 20 ans et résident américain à ses heures, est-il devenu l’armateur richissime, admiré des uns et haï des autres – à moins que ce ne soient les mêmes ? Homme d’affaires visionnaire, audacieux et cynique, sachant courber la tête pour mieux vaincre l’adversité, au sommet de l’Olympe maritime puis simple terrien terrassé par la mort de son fils.

Valery Coquant raconte la vie de ce magnat parti de la Grèce troublée pour Buenos Aires avec 50 dollars en poche, employé du téléphone la nuit, négociant en cigarettes dans la journée, adroit spéculateur avec l’argent ‘emprunté’ plus ou moins légalement au consulat grec dont il se fait nommer vice-consul.

A 25 ans, il fête son premier million, fréquente la gentry locale, prend le contrôle d’une compagnie de navigation, rêve d’égaler les Kulukundis, les Livanos et autres Embericos, armateurs grecs de souche. Il y parviendra mais ne sera jamais vraiment accepté par le Gotha du shipping de son pays d’origine, malgré son mariage en 1946 avec Athina, fille Livanos.
Onassis a du flair et il prend tout le monde de vitesse en achetant à bas prix du tonnage de compagnies en difficulté, en finançant de manière innovante la construction de pétroliers en Norvège, aux USA, en Allemagne, en profitant de la guerre, de l’après-guerre, de la fermeture de Suez, et de sa lancée, car on ne prête qu’aux riches. Son entregent cache sa froideur, son goût du secret et son cœur d’artichaut.

Sa réussite ne plaît pas à tout le monde. Les ennuis s’accumulent, mais Ari les esquive quand il ne peut les déjouer. Il est dans le collimateur d’Edgar Hoover, de Bob Kennedy, du pouvoir grec post-colonels. Qu’importe, il est riche à millions, sauve la Principauté de Monaco de la faillite, crée Olympic Airways qu’il confiera à son fils Alexandre, arme des baleiniers, conclut des accords avec l’Arabie Saoudite au grand dam des Américains, reçoit les plus grands sur son yacht Christina, dont La Callas, qu’il aimera, et Jackie Kennedy, qu’il épousera. Son ex- épouse, Athina, s’est entre-temps remariée avec Niarchos son ennemi de toujours … Dallas chez les armateurs hellènes !

La chance se met à tourner. En janvier 1973, son fils Alexandre se tue dans un accident d’hydravion pas totalement élucidé. Ari ne s’en remettra pas, dans sa tête ce coup du sort annihile l’embryon de dynastie qu’il est en train de créer. La guerre du Kippour et la crise pétrolière qui s’ensuit, mettent à mal son empire. Athina, mère de ses deux enfants décède à son tour dans des circonstances étranges qu’il impute à Niarchos, Olympic Airways frôle la faillite. C’en est trop, Ari malade s’éteint le 15 mars 1975 à l’hôpital américain de Neuilly.

Cette destinée hors du commun qui mêle puissance et gloire, amours et trahisons, se lit comme un roman ou comme une tragédie, c’est selon. Le ton du livre est vif, enlevé et parfois trivial – ce qui n’était peut-être pas nécessaire – L’ouvrage est passionnant, fort bien documenté avec des notes de bas de page  bienvenues pour éclairer l’époque, les faits, les personnages contemporains de ce fabuleux ‘Grec d’ailleurs’ qui n’aura de cesse de tutoyer les grands de ce siècle et, surtout, de prendre sa revanche sur ses arrogants compatriotes armateurs. Mais la légende Onassis n’est pas prête de s’éteindre : Tina, la fille de Christina et de Thierry Roussel s’impose avec discrétion du haut de ses 28 ans, au sein de la fondation créée par son grand-père pour gérer avec succès ses quelque 85 compagnies.

CF(H) Alain M. Brière

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Le livre se lit aisément. Le style est dynamique, journalistique. Des phrases courtes, avec, à l’occasion, des incidentes familières qu’on n’attend pas forcément dans l’ouvrage d’un historien : « Ari ne peut retenir un regard assassin à l’égard de tous les connards et autres fils de pute du Shipping » ou « Tout est fait dans les règles. Alors merde ! » …Touche de modernité sans doute.

L’auteur nourrit la biographie de son grand homme (l’hagiographie n’est pas loin) de considérations historiques, économiques, politiques, psychologiques bienvenues. Mais aucune (2) note, aucune référence, pas même une (1) bibliographie pour (2) étayer l’enquête minutieuse qu’il a menée. Valéry Coquant concède du bout de la plume qu’Onassis avait ses parts d’ombre, une image sulfureuse, ce qu’il porte plutôt au crédit d’un personnage pour qui il éprouve manifestement de la sympathie.

Si cette biographie apparaît plus comme une histoire romancée, c’est que, de fait, la vie d’Aristote Onassis constitue un véritable roman. Adolescent en conflit avec son père il réchappe des massacres perpétrés par les Turcs à Smyrne (Izmir depuis) où prospère sa famille, s’enfuit sans le sou en Argentine, s’y enrichit
dans le négoce du tabac, la spéculation et d’autres moyens à la lisière, si ce n’est en marge, de la légalité. Il achète ses premiers bateaux pour lesquels il « invente » le pavillon de complaisance. Il comprend avant d’autres que l’avenir est dans les supertankers et développe progressivement son empire en faisant construire des pétroliers de plus en plus gros, jusqu’à ce que la crise de 1973 vienne gripper l’organisation Onassis, qui est un enchevêtrement opaque de sociétés aux sièges sociaux installés dans des paradis fiscaux.

Cet homme-là avait la « gnacque », la volonté, le talent. Sa vie privée n’est pas moins romanesque. Il épouse au début de son ascension la fille
cadette d’un richissime armateur grec, plus jeune que lui de 23 ans, qui lui donnera deux enfants, Alexandre et Christina. Il la quittera pour Maria Callas. Mais c’est avec Jacqueline Kennedy qu’il se remarie. Cependant la roue a tourné et la chance s’en est allée. Aux déboires professionnels, aux démêlés sentimentaux s’ajoute le drame. Son fils, son héritier, périt dans un accident d’avion en 1973. Le chagrin le ronge. Sa santé se détraque et il meurt en 1975.

Tout ce côté « people » du personnage est abondamment détaillé par Valéry Coquant. J’ai pris plaisir à lire cette biographie consacrée à un homme sur lequel je savais peu de choses, d’autant que le style emporte le sujet à grands traits. Avec les particularités que j’ai signalées. J’irai jusqu’à en recommander la lecture, même s’il paraît difficile de distinguer un ouvrage consacré certes à un personnage aussi controversé, mais qui, sur le fond, n’emporte peut-être pas la conviction que sa légende noire n’aurait été que calomnies colportées par ses ennemis.

CRC1 Joël Delrocq

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Ecrit d’une plume alerte – parfois non exempte de trivialités – le livre de Valery Coquant, passionnant de bout en bout, se lit comme un roman : celui d’un jeune Grec d’Asie Mineure qui voulait constituer un empire et une dynastie. Fruit d’une histoire mouvementée, son périple, commencé dans l’Argentine des années 20, le verra conquérir son royaume dans le transport maritime, forgeant son propre univers avec ses codes, ses espoirs et sa logique propre.

Ponctué de catastrophes et d’espoirs perpétuellement remis en cause, son parcours fascinera les imaginations et figera sa légende, au point que l’on perdra de vue que, derrière ces amours tumultueuses et ce train de vie éblouissant, se cachait un homme, avec ses rêves, son ambition et ses compromissions. C’est ce voile que Valéry Coquant se propose de lever pour nous.

Les Dieux n’auront garde de l’oublier, qui foudroieront cet Olympe et ces rêves de dynastie ! Pour qui porte de l’intérêt aux composantes maritimes des flux économiques, ce livre, fort bien documenté, est passionnant. Il est à regretter qu’il soit dépourvu d’une bibliographie, qui aurait contribué à étayer l’analyse faite, mais il s’agit d’un choix de l’éditeur. Les synthèses historiques sont brillantes et les notices biographiques détaillées de personnages dont on a parfois entendu le nom – souvent sans bien savoir de qui il s’agissait – ouvrent des horizons plus qu’intéressants.

Lecture hautement recommandée, donc, en particulier en cas de voyage en train ou en avion. Vous plongerez dans l’univers intime de ce self-made-man véritablement hors du commun et en explorerez avidement les zones d’ombre. Vous ne verrez pas le temps passer.

 

CF (H) Jean-Paul BILLOT

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Il y a belle lurette qu’une actualité  galopante a fait oublier ce nom…

Quelques anciens marins se souviennent d’avoir croisé en mer Rouge un navire blanc et d’avoir informé des passagers curieux de voir le pétrolier le plus grand du monde. C’était le  Malik al Saud al Awad. Ceux-là se souviennent d’Aristote Onassis.

Et c’est bien vrai qu’en ces temps-là, les cercles olympiques rouges dessinés sur les cheminées carénées de blanc des navires de la flotte Onassis faisaient l’admiration des marins. Les courtiers avaient pour le nom de cet armateur tous les égards.

La presse à sensations, « people » comme on dit de nos jours, éclipsait parfois la flotte.

Les amours successives d’Aristote avec des têtes d’affiches et plus tard avec l’ex-épouse d’un président américain, occultaient l’essentiel.

Les relations tempétueuses de l’homme avec l’establishment américain furent spectaculaires. A un moment de sa vie il eut l’outrecuidance d’effleurer l’ARAMCO et de porter ombrage aux intérêts fondamentaux des Etats-Unis. La presse se déchaîna. Il dut capituler.

On s’est demandé, comment on pouvait devenir aussi riche, aussi puissant en étant parti de rien.

Il devait bien y avoir quelque part des affaires « pas claires ».

Eh oui, sans doute. En particulier, à ses tous débuts, en Argentine. Vous connaissez des affaires bien claires lorsqu’il s’agit de lutte pour la survie ? « Le milieu est rude et la pitié un tort qui se paie cash » (p 60).

Après tout, ils étaient – et sont encore nombreux de nos jours – eux qui baignaient dans cette sorte de situation. Quelques-uns seulement ont surnagé et seul Onassis devint ce qu’il fut.

Réfugié en Argentine, Aristote Onassis avait commencé en vendant du tabac.

« Cinq ans après son arrivée en Amérique du Sud, Onassis était millionnaire en dollar américain » (p. 67). Il était aussi devenu consul de Grèce en Argentine.

Le hasard et la chance ?

La rencontre de l’armateur argentin Alberto Dodero le fit bifurquer vers le transport maritime. Un contentieux entre la Grèce et la Bulgarie menaçait-il le commerce maritime, en particulier avec l’Argentine ? Le voilà embarqué vers Athènes, rencontrant le président grec d’alors, M. Venizelos, parvenant à infléchir la décision de l’Etat grec… Croyez-vous que le milieu des armateurs grecs lui en sut gré ? Nenni. Cruelle désillusion. Il n’était pas Grec d’Europe, mais Turco de Turquie et surtout ne faisait pas partie du cercle fermé des initiés, qui le traitait,  « comme la noblesse d’ancien Régime considérait celle d’Empire ».

 

A quelque temps de là, lassé des embûches que lui sèment ses collègues armateurs grecs, Aristote Onassis remet au consul son pavillon grec. L’auteur procède ici à une métaphore, car la radiation de pavillon et le transfert sous un autre pavillon ne se passe pas comme il le décrit. Ce sont des formalités bien longues et tatillonnes. Avis au lecteur. C’était le début de ce que l’on désigne de nos jours sous le vocable de « pavillon de complaisance ».

Aristote avait entrevu, bien avant ses pairs, les conséquences de la mécanisation des sociétés avancées et l’intérêt de prendre place dans le transport pétrolier.

Une fiscalité avantageuse a sans doute justifié l’entrée d’Aristote Onassis dans la Société des bains de Mer à Monaco. Cependant, sa puissance, si elle amenait à ce petit Etat un regain de prospérité, ne pouvait manquer d’entrer en conflit avec celle du Prince. Ce fut le temps où les invitations à bord du yacht Christina, drainaient vers le Rocher le Gotha politique et industriel du monde. Cela dura jusqu’à ce que la France mît un frein aux dispositions fiscales dont bénéficiaient les résidents de la principauté.

Aristote Onassis déplaça alors ses intérêts vers la Grèce. Là, les mouvements politiques qui agitaient le pays chahutèrent ses affaires.

Les accords qu’il tenta d’établir avec le gouvernement saoudien pour s’assurer du monopole des transports de pétrole d’Arabie le placèrent au centre d’une tornade politique américaine qui aurait bien pu mettre un terme à sa carrière.

C’est un trait commun qu’on trouve aux entrepreneurs d’exception, ceux qui réalisent des  exploits historiques. Leur vie sentimentale est très compliquée : mélange d’opportunisme, de calcul et d’une impossible complémentarité ; toujours marquée d’une sorte de fatalité.

Le portrait dressé par l’auteur, me semble dans les grandes lignes conforme. Les sentiments du protagoniste me paraissent vraisemblables. Les implications de la politique énergétique des compagnies pétrolières américaines probables, car logiques. Les évolutions de la conjoncture économique en particulier dans les transports maritimes auraient mérité plus de rigueur, mais nous ne sommes pas dans un cours de droit maritime et commercial, n’est-ce pas ?

 

L’auteur déclare emprunter la démarche de l’historien. Je veux bien, mais les historiens citent leurs sources et se hasardent rarement à imaginer les sentiments qui animent les êtres dont ils tentent de décrypter l’histoire. Il fut un temps où cette manière faisait le chiffre du Reader’s Digest. Lorsqu’on traite du commerce maritime international, il y a deux alternatives. Ou bien on commence par faire l’apprentissage de cette vie, c’est un peu long, mais on est précis et on peut se faire comprendre. Ou bien on fait comme les journalistes, ça donne ce que nous lisons. C’est agréable pour le public curieux, mais pas satisfaisant pour celui qui est averti.

A vous de juger donc.

CV (H) H.  Michea

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