Cauchemar en Antarctique

Amundsen, Nansen, Scott, Shackleton, Byrd, Nobile et, bien entendu, Charcot … Autant de noms illustres ayant jalonné l’histoire des explorations polaires à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. Beaucoup moins célèbre, en revanche, est le lieutenant de vaisseau belge Adrien de Gerlache de Gomery qui dirigea pourtant, de 1897 à 1899, dans des conditions difficiles, la toute première expédition dans l’Antarctique et qui, malgré des résultats relativement modestes, donna à son pays natal le droit de figurer, en 1961, parmi les treize états fondateurs du Traité de l’Antarctique.

Premier marin au sein d’une lignée d’officiers de l’Armée, le baron de Gerlache rêvait de conquérir pour son pays la gloire qu’une mission scientifique dans l’Antarctique (à savoir la cartographie de la côte occidentale de l’interminable péninsule de Graham) pouvait lui procurer. Toutefois, dans un royaume où la Marine n’en était qu’à ses balbutiements, sa tâche s’annonçait, dès l’origine, hérissée de difficultés. De fait, s’il parvint à réunir des fonds suffisants pour acheter un robuste baleinier du nom de Patria, qu’il rebaptisa Belgica, la constitution d’un état-major et d’un équipage lui posèrent bien des problèmes : n’ayant tout simplement pas trouvé assez de marins confirmés parmi ses compatriotes, il dut recourir à un recrutement international, en particulier norvégien et polonais. Du moins comptait-il, au sein de son petit état-major, le futur vainqueur du pôle Sud, Roald Amundsen, ainsi que le docteur américain Frederick Cook, étrange personnage mi-génie mi-escroc, qui prétendit ultérieurement (et peut-être pas à tort) avoir le premier mis le pied au pôle Nord. Bref, à la différence de Shackleton, dont Gerlache ne possédait malheureusement ni le charisme hors du commun ni le sens inné de l’autorité, l’expédition démarra avec un équipage disparate et de qualité inégale. C’est pourquoi on ne peut nier le mérite de l’officier belge qui, parti d’Anvers le 16 août 1897 et rentré le 5 novembre 1899 sous les acclamations, fut le premier à passer un hivernage complet dans les glaces du continent antarctique, d’où il rapporta, au prix de maintes inquiétudes et de souffrances allant jusqu’au décès de deux de ses membres, des données scientifiques capitales pour la connaissance de ces régions. Au passage, il découvrit au large de la péninsule de Graham plusieurs îles (île Liège, île Brabant, île Anvers…), séparées de la terre ferme par l’actuel détroit de Gerlache.

Le journaliste américain Julian Sancton nous offre là une relation très sérieuse (comme le prouve son abondante bibliographie) de cette expédition injustement oubliée, en se basant sur les nombreux journaux rédigés, sur un ton plus ou moins austère, par plusieurs des officiers et savants y ayant pris part, en particulier Amundsen et Cook, mais aussi l’hydrographe Georges Lecointe, le zoologue roumain Emil Racovitsa, le géologue polonais Henryk Arctowski, sans oublier l’émouvant témoignage du matelot Carl-August Wiencke, décédé durant l’hivernage, ni, bien sûr, le précieux journal de bord du commandant de Gerlache lui-même.

Une sélection de photographies peu connues enrichit encore cet ouvrage qui mérite vraiment d’être lu par quiconque s’intéresse à l’épique conquête du continent antarctique.

CV(H) Philippe HENRAT
21/05/2023

CAUCHEMAR EN ANTARCTIQUE
Le voyage de la Belgica dans la nuit polaire
Julian Sancton
Editions Payot

Voir également la recension du CF(H) Philippe BEAUCHESNE

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