Ressacs

« Les parents ont mangé des raisins verts et ce sont les dents des enfants qui en ont été agacées ». Ce proverbe biblique du livre de Jérémie pourrait résumer l’ouvrage de Clarisse Griffon du Bellay.

Dans notre époque de culpabilité rétroactive exigée des seuls représentants de notre civilisation judéo-chrétienne, c’est Clarisse Griffon elle-même qui a souhaité s’exorciser de ce qu’elle ressentait comme un fardeau insupportable pesant, en l’occurrence depuis six générations, sur son nom de famille.

Le détail écrit par deux survivants du naufrage de la Méduse et annoté par un ancêtre, acteur d’un tel secret, était soigneusement conservé – mais étouffé – d’héritier mâle en héritier mâle chez les Griffon du Bellay depuis la relation publique de l’événement qui l’avait déclenché. Tous ces héritiers s’étaient transmis ce document, observant un serment verbal d’en conserver la faute expiatoire au sein de la famille. C’est une fille, Clarisse, qui s’est finalement sentie obligée de briser ce lourd secret, deux siècles après ce naufrage qui avait alors défrayé la chronique, occupé la justice et inspiré un artiste majeur, Théodore Géricault.   

Artiste, c’est également la condition de Clarisse qui a mis son art, la sculpture, à grande contribution pour matérialiser et finalement presque évacuer cette obsession bicentenaire de vérité libératrice.

L’échouage maladroit, sur le banc d’Arguin, au large de la Mauritanie qui perdit, en juillet 1816, une frégate quasiment neuve et qui causa également la disparition de 160 hommes embarqués avait été le résultat d’un mauvais commandement puis d’encore pires décisions à la suite de l’événement de Duroy de Chaumareys, commandant âgé dont une longue émigration avait érodé les qualités maritimes.

La suite, mettant en évidence le comportement pour le moins moralement condamnable du corps des officiers et des Messieurs à bord du bateau dans une rage de préserver leur propre vie aux dépends de celle de leurs subordonnés dont certains, sur le radeau surchargé qui complétait les chaloupes emportant le commandant et quelques autres, furent dépecés et dévorés par leurs supérieurs.

L’ancêtre de Clarisse, Joseph Griffon du Bellay, jeune fonctionnaire de 28 ans en route pour servir le gouverneur du Sénégal (Schmaltz, l’un des rescapés en chaloupe) survécut jusqu’à l’âge de 74 ans. Premier détenteur du récit de Corréard et Savigny, deux survivants comme lui du radeau, il annota de sa main ce récit quelque peu édulcoré en révélant aussi une partie de ses propres turpitudes dans l’affaire. Transmettant le document à son fils il initia une longue lignée de mutisme familial. La sculpture ne suffisant pas à apaiser l’angoisse obsessionnelle de Clarisse, elle obtint de son père, 5e génération de détenteurs du lourd secret, de le dévoiler – partiellement – à Michel Hanier qui préparait, en 2016, « Le Naufrage de la Méduse », un livre qui se voulait exhaustif pour le 200e anniversaire de l’affaire.

C’est l’histoire de la libération, au prix d’une partielle trahison d’un secret familial, du poids qui l’écrasait que Clarisse Griffon du Bellay nous conte,  dans ce récit tortueux et torturé.

CF(H) JM CHOFFEL
31/03/2024

Clarisse Griffon du Bellay
Ressacs
Editions Maurice Nadeau – janvier 2024

Voir également la recension du CF(R) Jean-Pascal DANNAUD

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