Les secrets de famille sont parfois lourds à porter. Chez les Griffon du Bellay, le radeau de la Méduse est une histoire de famille. Honteuse et tenue sous le sceau du secret. En 1818, Joseph Jean Baptiste Griffon du Bellay, l’un des quinze rescapés de cette tragédie a annoté de sa main le récit officiel de l’épopée macabre. L’exemplaire unique se transmet de génération en génération, au décès du père. Une tradition de la transmission, à condition de ne rien en dire. Il revient à la jeune Clarisse, cinq générations plus tard, de tenter de se dégager du tabou familial.

S’appuyant sur l’ouvrage annoté, elle dit les souffrances des naufragés, les blessures et la folie qui s’empare de certains. Elle évoque la nécessité très vite perçue de « faire de la place » alors que le radeau s’enfonce, les froids calculs qui mènent aux froides décisions pour survivre, et l’organisation qui conduit au cannibalisme mené avec méthode. Sans omettre le désespoir, les dérives qu’il engendre puis les cas de conscience de son ancêtre.

Ce livre est aussi, en contrepoint, une tentative d’explication de la démarche littéraire de l’auteur. Marquée par le secret familial et le lourd silence qui l’entoure, qui ont eu sur elle des répercussions profondes, Clarisse explique combien l’écriture est pour elle une nécessaire quête émancipatrice. La libération de la parole et la levée du secret familial comme une levée d’écrou intime.

Pour la jeune femme, pleine de troubles, qui considère qu’elle n’existe que parce que son aïeul, de lignée aristocratique, à commis l’irréparable, le récit se clôt sur l’achèvement de sa propre rédaction. Un livre pour un autre… « Les mots […] sont entrés en résonance, révélant la trame qui me constitue. Je peux désormais libérer de moi le son de mon ancêtre. Restituer à l’histoire collective ce que j’ai toujours pensé lui devoir. Je contemple ce livre comme une sculpture qui se termine. »

Une enquête familiale doublée d’une introspection qui se veut salutaire.

CF(R) Jean-Pascal DANNAUD
25/02/2024

Clarisse Griffon du Bellay
Ressacs
Editions Maurice Nadeau – janvier 2024

Voir également la recension du CF(H) JM CHOFFEL