Pierre Loti. Une vie de voyageur.

On célèbre cette année, le centenaire de la disparition de Julien Viard, alias Pierre Loti, cet officier de marine observateur éclairé du monde du XIXème siècle, reporter et écrivain, académicien élu contre Émile Zola, héros de ses propres récits, et qui, promenant dans ses écrits une éternelle nostalgie, traîne une litanie du désespoir qui ont pu inspirer à Ugo Pratt le personnage de Corto Maltese.

Sa maison de Rochefort, véritable écrin pour ses souvenirs de voyage avec entre autres, la chambre chinoise, celle des momies, la pagode japonaise, la mosquée…. réouvrira le 13 juin après des années de restauration. A visiter !

Pour raviver le souvenir de cet écrivain atypique aux multiples aventures, les jumeaux Alain et Didier Quella, tous deux fins connaisseurs et admirateurs de Pierre Loti, ont eu la riche idée de raconter sa vie et ses voyages dans une bande dessinée, aidés par les illustrations délicates et pittoresques de Pascal Regnauld.

Selon que Loti s’adresse à son amie Alice de Monaco dans sa maison de Rochefort ou que nous soyons transportés dans les pays visités, la bichromie bleu-noir se change élégamment en jaune-noir. La police de caractère adoptée (Jakob light ?) est particulièrement agréable à lire, un amusant ‘jeu de l’oie’ en fin de livre déroule les grands moments de sa vie et un avertissement en tête d’ouvrage invite à contextualiser ses propos et ses jugements, notamment sur les femmes…

Cette dernière précaution prise et que pour ma part je ne trouve pas essentielle, laissons-nous embarquer à la suite de ce marin qui savait mettre de la peinture dans ses écrits. L’ouvrage commence par l’expédition à l’île de Pâques d’où il faut rapporter une tête de moai, ces fascinantes figures de pierre. Cette décapitation fait dire à Viard « les civilisés ont montré vis-à-vis des sauvages une sauvagerie ignoble ». Escale à Tahiti où il prend le nom de Pierre Loti et goûte à l’union à la mode des tropiques. Bref séjour en Afrique noire où il partage Félicia avec un cavalier pas trop rancunier, sujet de son Roman d’un sphahi. Entre deux embarquements, déguisé en paysan de l’Oberland il renoue à Genève avec un ancien amour que les menaces de sa famille l’obligent à oublier. On le retrouve à Salonique où l’on pend à tout va en répression de l’assassinat des consuls de France et d’Allemagne. A Istamboul, il s’éprend de la belle Hakidjé qui deviendra Aziyadé, héroïne de son premier roman publié anonymement en 1879 chez Calmann-Lévy (déjà). Dans L’Empire Ottoman il lutte contre le démantèlement de l’Empire voulu par les puissances occidentales. A Alger il déplore que tout y est frelaté par cause de colonisation. Ses articles publiés dans le Figaro sur la guerre du Tonkin et la cruauté des combats lui vaudront d’être censuré par l’autorité maritime. Pendant son séjour au Japon il épouse la très décorative Okane san avec un contrat de mariage officiel d’un mois renouvelable… et écrira Madame Chrysanthème. Déçu par la Bretagne qu’il trouve austère et maussade, il en apprécie néanmoins Rosporden dans l’arrière-pays où réside son cher, très cher Pierre le Cor, marin comme lui et qui devient Yves Kernadec dans son roman Mon frère Yves. 

Sans y avoir jamais escalé, il écrira son roman le plus connu : Pêcheurs d’Islande qui fera pleurer abondamment dans les chaumières de l’époque.

A peine son sac mis à terre, Pierre Loti fera des voyages privés qui le mèneront en Terre Sainte, dans le désert du Sinaï et de Petra, à Damas puis à Baalbek. En Inde, il sera ravi par les danses envoûtantes des bayadères et critique à l’égard des occupants étrangers pilleurs de richesses.

Tout ceci et bien plus en bande dessinée, quel exploit ! l’ouvrage nous offre le plaisir de redécouvrir cet écrivain qui se sentait partout chez lui tout en regrettant de n’être pas ailleurs, ce protestant en fait athée, mais désespéré de l’être, cette voix qui criait dans le désert toutes les injustices du monde.

CF(H) Alain M. BRIERE
23/04/2023

Pierre Loti
Une vie de voyageur
Didier Quella-Guyot & Alain Quella-Villéger (scénaristes)
Pascal Regnauld (dessin)
Éditions Calmann-Lévy

Voir également la recension du CF(H) Philippe BEAUCHESNE

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