En l’ouvrant on pourrait croire tenir un manga entre les mains s’il ne se lisait classiquement de gauche à droite. A première vue on pourrait penser lire un ouvrage de Jacques Tardi créateur d’Adèle Blanc-Sec (dont l’auteur a toujours revendiqué les influences), tant les personnages en paraissent issus.

Terre Neuvas est un livre à part, dont l’esthétique du dessin exclusivement en noir & blanc entraine le lecteur dans l’univers redoutable des pêcheurs qui, de longs mois durant, partaient sur les bancs de Terre-Neuve au début du 20^ème siècle, à bord de voiliers subissant les affres de la météo.

Au sein d’un équipage réduit à vivre en vase clos, où aucune faiblesse n’est tolérée, où l’intimité est exclue, où les plus « forts en gueule » s’imposent sur ceux qui n’osent pas répliquer, une campagne de pêche est un long enfer. Mais quand subitement la morue ne donne plus, menaçant la paie au retour à terre, les tensions s’exacerbent. Et quand en plus le second ne monte pas travailler, l’orage gronde. Seulement il ne tire pas au flanc, il exhibe un couteau planté dans le dos ! Alors la violence des éléments vient nourrir la violence des hommes.

En partant de cette simple trame, Christophe Chabouté plonge son lecteur, de case en case, dans un vieux film noir & blanc du début du 20^ème siècle ; avec de l’imagination, les pages se parcourent au son de crachotis du moteur d’un vieux projecteur de cinéma d’époque.

Aux dialogues empreints d’une violence dure succède le silence froid des cases qui racontent sans un mot la violence de la mer et du métier de pêcheur terre-neuvas, la dureté des rapports humains basés sur la force. Le trait est beau, le dessin communicatif. Il faut remonter son col…

L’ambiance rendue du bord et la tyrannie de la mer accompagnent le lecteur de bout en bout, à en avoir froid rien qu’en lisant. Terre Neuvas est un bel ouvrage : le lecteur partira sur les bancs, il aura froid, peut-être mal non pas à ses mains, mais pour les mains du novice qui s’usent sur le fil à pêche et les intérieurs des morues. Le lecteur reposera le livre avec le sentiment de revenir à terre et peut-être même sentira-t-il le plancher bouger encore ! Terre Neuvas offre cette sensation et mérite d’être lu rien que pour ce plaisir. Signalons qu’il s’agit de la récente réédition en poche de la BD parue fin 2009. La réduction de format rend parfois la lisibilité un peu difficile.

CC(R) Axel PIVET
19/07/2025

TERRE NEUVAS
Christophe CHABOUTÉ
Glénat