Et que se taisent les vagues(CHILI – LA TRAVERSÉE)
- Auteur LV(H) Dominique RENIE
- Publié dans Bandes-dessinées, Recensions
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Après Là où se termine la terre (CHILI 1948-1970) paru en 2017 et Le temps des humbles (CHILI 1970-1973) paru en 2020, Alain et Désirée Frappier nous proposent Et que se taisent les vagues (CHILI – LA TRAVERSÉE). Cet épais récit graphique retrace un épisode encore mal connu de l’histoire du Chili. Le rôle des forces armées chiliennes et notamment de la Marine dans le coup d’état qui a renversé et tué Salvator Allende est certes bien documenté. Il est par contre presque totalement ignoré que :
- des matelots et des officiers mariniers subalternes de la Marine chilienne avaient eu vent de l’organisation du putsch,
- que ces marins constitutionalistes avaient tenté par tous les moyens de prévenir les autorités mais n’avaient pas été crus,
- qu’ils avaient même envisagé de s’emparer de la flotte et d’appareiller de nuit, en l’absence de la majorité des officiers, pour l’empêcher de tirer sur la présidence et sur les ministères,
- qu’ils y avaient finalement renoncé à la demande des partis de la coalition gouvernementale de gauche qu’ils avaient mis au courant pour qu’ils mettent en garde Allende,
- qu’ayant été dénoncés, ils avaient été torturés et condamnés pour tentative de putsch !
- que le célèbre voilier-école Esmeralda a été un centre de détention et de tortures.
Alors qu’ils étaient en prison, ils ont eu de lointains échos du putsch des forces armées et de la mort d’Allende – ce qui les a gravement démoralisés. Libérés après avoir effectué une grande partie de leur peine, leur innocence de tout complot putschiste n’a jamais été reconnue. La plus grande partie d’entre eux a ensuite été contrainte à émigrer.
Le livre relate la destinée de divers marins constitutionalistes, ayant pour la plupart intégré la Marine en s’engageant à l’Ecole des mousses. La description de la vie dans cette école est consternante : mépris de classe, racisme, violence et châtiments corporels injustifiés y étaient choses communes. Une fois embarqués, leur sort ne fut guère meilleur. Le fossé social qui séparait les officiers de l’équipage, et le mépris de caste qui en découlait, laisse pantois. Les dessins en noir et blanc d’Alain Frappier servent remarquablement cette histoire particulièrement sombre d’une époque pas si ancienne que cela.
Le récit graphique de Désirée et Alain Frappier est remarquablement documenté. Ils ont rencontré bon nombre des marins constitutionalistes encore en vie et ont bénéficié de l’aide d’un universitaire chilien qui a soutenu en 2008 une thèse de doctorat en histoire à l’Université libre de Bruxelles : https://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/210614/Details
Cinquante ans après, le Chili n’a semble-t-il pas encore pansé les plaies de cette période dramatique de son histoire et privilégie encore l’amnésie plutôt que la vérité.
LV(H) Dominique RENIE
30/04/2025
Et que se taisent les vagues (CHILI – LA TRAVERSÉE)
texte de Désirée Frappier
dessins de Alain Frappier
STEINKIS